Pierre-Edmond Péradon, sa vie (6/6)

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Ajoutons encore ceci pour souligner ce que nous avons déjà signalé. il ne peint pas par obligation alimentaire et n'a pas le souci d'exposer ses toiles qu'il ne destine aux autres qu'après sa mort. On peut donc être assuré que cet épisode du débarquement sur les plages de son enfance revêtait pour lui une signification symbolique profonde. Et comment ne pas se souvenir de ses mots prémonitoires lorsqu'à vingt ans il écrivait:

"Et parce quele ciel, la mer et les au-delà sont les symboles des choses mauvaises, des mystères et des inquiétudes, et aussi des rêves et des harmonies,j' ai la hantise du bleu. couleur de tristesse et de recueillement ."

Il était le peintre des rêves et des harmonies qu'il distillait en structurant les paysages qu'il restituait. Il fut aussi, pour un bref moment, le peintre des choses mauvaises, des mystères et des inquiétudes.

Comment ne pas se rendre compte aussi que les poète, qui ne s'amuse pas seulement avec les mots, mais se sait convié par eux à des aventures plus essentielles et plus radicales, est toujours l'hôte des transmutations de l'esprit dans lesquelles les songes sont souvent prémonitoires, les rêves des visions synthétiques, les images intérieures des icônes des destinées humaines?

Et pour les peintre, à qui sa matière échappe, il n'en va pas autrement, quand il se met au service de la matière picturale et de ce qu'il voit, et ne met pas le monde à son service ni ne l'asservit à des fins mercantiles.

La guerre est finie. La richesse familiale est dissoute. Péradon va donc travailler par nécessité financière. Mais il continue à peindre; il se lève plus tôt et change son emploi du temps. Il s'occupe des comptes des parcs à huîtres de Courseulles. Pendant la guerre déjà, il avait travaillé dans la sucrerie industrielle de la ville. Cela ne l'empêche pas de sillonner pendant ses congés ses paysages de prédilection : l'Alsace et les Alpes. La Normandie bien sûr, où est sa demeure et qui lui offre la variété de sa géographie, si différente quand il remonte vers le pays de Caux et ses falaises réputées, ou bien s'il s'imprègne de la poésie particulière des ports à l'ouest de Courseulles jusqu'à Barfleur ou la pointe d' Omonville-la Rogue. A partir de Caen, vers l'est ou vers l'ouest, la Normandie est plurielle: bocage, marais, côtes en reliefs divers et changeants. Le peintre ne sera jamais lassé d'en exprimer la séduction et la douceur des formes, jusqu'au terme de sa vie.

Mais, l'homme qui avait tôt perdu sa femme, allait encore subir les assauts de la séparation et de la mort de ses proches. Son fils Bernard, marié depuis 1951 et vivant dans la grande maison de Courseulles, le quitte en 1959, lorsqu'il se sépare de sa femme et part avec une cousine germaine de celle-cl. Pierre-Edmond ne reverra jamais son fils qui mourra avant lui en 1979. Marie-Thérèse, sa belle-fille, resta à la maison avec les enfants et fut toujours très proche de son beau-père. C'est elle le chauffeur qui l'emmène sillonner la campagne. Elle encore qui participe aux excursions dans les montagnes des Alpes, ou qui parcourt les doux vallonnements et les vignes de l'Alsace si chère au peintre paysagiste. Péradon a son permis mais il ne conduit jamais.

De son fils aimé mais qui s'est éloigné, Pierre Edmond peut voir grandir deux enfants, un garçon et une fille. Deux autres sont malheureusement morts à la naissance. Et le destin va encore le frapper en son petit-fils aux beaux jours de ses vingt-et-un ans, lorsque le jeune homme allant à Caen en moto. est fauché et tué sur le coup par un chauffard irresponsable.

C'en est trop. pourrait-on dire. En tous cas, ce fut beaucoup pour un homme dont la sensibilité a été très tôt comme exercée à la souffrance par les épreuves subies dans son corps avec la perte d'un poumon, et dans le cœur avec la disparition de celle dontil avait ajouté le nom au sien pour publier, sa mère, de celle qu'il avait élue pour partager sa vie, Hélène C1airoy, de son fils né de cette union et resté seul avec luià l'âge de quatorze ans, et enfin la mort de son petit-fils, fauchéà l'âge où il écrivait lui-même :

"Puisqu'il faut vivre, sachons souffrir.

Défions les sorts amer sen aimant les souffrances. Ayons,comme une fleur aux dents, rouge parure, l'orgueil majestueuxde toute l'impuissance et l'orgueilde savoir mourir sans un murmure. Puisqu'il faut vivre, soyons-en fiers,.

"Puisqu'il faut vivre, soyons en fiers!". N'est-ce pas une devise qu'il faudrait graver au fronton des écoles. au carrefour des chemins,à l'entrée des églises?"Puisqu'il faut vivre, soyons-en fiers !". Secrètement, ce fut la devise emblématique de Pierre-Edmond Péradon. poète, peintre et moraliste.

Son œuvre, maintenant, comme il l'avait souhaité, s'effeuillera vers bien des lieux, comblera bien des regards, éveillera sans aucun doute bien des esprits et des cœurs. Puisse-t-il donnerà ceux qui s'en réjouiront cette même fiertéà vivre et aller jusqu'au bout du chemin, le leur. Celui que Pierre-Edmond Péradon, qui s'éteignit en 1981 ,parcourut celui d'un homme qui se haussa par ses choix jusqu'aux élévations de l'esprit.

"Mourir debout, tout simplement, comme i' on a vécu. Ce n'est pas si commun d'avoir vécu debout dans tous les sens du terme ."

Ce n'est pas si commun, assurément ...

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