Pierre-Edmond Péradon, sa vie (1/6)

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Par Alain Calonne

Pierre-Edmond Péradon hante le bocage en cherchantà traduire tout ce qui fait la richesse et l'originalitéde la Suisse Normande Il est même présent sur les plages au moment du débarquement en 1944 où il croque souvent à l'aquarelle ces moments historiques ...

Marcel Spilliaert

Il est des hommes dont la biographie est un chemin balisé d'événements spectaculaires dont ils ont été les acteurs, les figurants ou les témoins de hasard. Il suffit alors de relater ces événements pour qu'une figure apparaisse qui, pour ne pas être celle de l'homme dont on veut parler, donne une image composite et extérieure dont souvent nous nous contentons, faute de mieux. Mais les événements qui sortent de l'ordinaire sont-ils les plus appropriés pour nous parler d'un homme?

Sans doute l'histoire ne retient que les actes et les réactions aux événements qu'elle juge dignes d'entrer dans ses manuels. A cela on peut opposer que la vie ordinaire fourmille de décisions, d'audaces ou d'accablements, d'élans ou de retraits, qui tissent la trame invisible de millions d'hommes dont l'histoire n'a pas retenu le nom. Et, comme l'a écrit celui dont nous voulons parler:

"Le vrai héros est celui qui ayant agi à l'insu de tous, s'est tu."

Peut-être cette phrase illustre mieux que ne le ferait un répertoire d'anecdotes et de faits, le caractère d'un homme secret, retranché, méditatif, maistoujours très aimable avec ses proches, et qui passa toute son existence à peindre et à écrire : Pierre Edmond Péradon.

Existe-t-il meilleure biographie que celle laissée offerte à nos yeux par le geste d'un homme qui s'est voulu peintre jusqu'à la fin de ses jours? Existe-t-il un témoignage plus exhaustif que les vers d'un poète qui s'est consacré à l'écriture jusqu'aux derniers instants?

Sans doute alors, les repères balisés ne sont-ils pas ceux, extérieurs, dont nous parlions en commençant. Sans doute n'éclaircissent-ils pas le mystère de la vie d'un être, mais au contraire lui offrent un écrin dans lequel ce mystère devient la vraie réalité d'un homme qui témoigne pour tous les autres, anonymes.

Pierre-Edmond Péradon nous a donné sa peinture et sa poésie. Elles seules traceront son portrait. Elles seules sauront mieux que tous nos efforts, graver le juste visage de l'homme qui écrivait. en 1913,dans son magnifique recueil de poèmes" Au champ des herbes bleues" :

En outre ...

Et moi qui voulais être un esclave sauvage, qui l'âme libre enfin d'espérances lassées portait mon idéal au-delà de notre âge dans le rêve et dans la pensée,

Parfois, enfant perdu dans les dédales bleus,où la raison qui dorta d'effrayants réveils, j'eus l'étrange recul de tous mes désirs feus, et la honte de mon sommeil.

Et si je n'étais pasce rêveur fou qui pleure dans la contemplation des choses infinies, jeme serais lancé sur la route meilleure de la révolteà l'anarchie !

(novembre 1913)

Pierre-Edmond Péradon est né le 3 août 1893à Courseulles dans le Calvados. Il est mort dans la maison où il est né. le 4 juillet 1981. Cette grande maison bourgeoise domine encore de son assise la rue Arthur Leduc dont elle est le premier numéro. Au XIX· siècle, ce fut une auberge dont la belle-fille du peintre, Marie-Thérèse Péradon. conserve un dessin exécuté par Fabius Brest. L' auberge se nommait " A la grâce de Dieu".

Si la maison ne portait plus ce nom à la naissance de Pierre-Edmond, gageons qu'une aura particulière restait attachéeà cette grande demeure confortable qui accueillit les pérégrinations de voyageurs nés sans doute pour la plupart avant la Révolution. Mais. on sait que la grâce de Dieu réserveà ceux qui en sont les élus, de dures épreuves dont le bénéfice ne se pèse pasà l'aune des bienfaits matériels. La perte des sens marquera durement Pierre-Edmond, fréquemment et durablement dans sa vie. Sa nature et son caractère ne pouvaient qu'en être affectés.

La grâce est exigeante et ses rigueurs creusent en nous des abîmes dont seule la mort nous délivre. A vingt ans, dans une fulgurance prémonitoire dont la poésie est le creuset, Pierre-Edmond écrit au commencement de son recueil déjà cité:

"Bleu, mais c'est le ciel, la mer,la transparence des horizons. Et parce que le ciel,la mer et les au-delà sontles symboles des choses mauvaises, des mystères et des inquiétudes, et aussi des rêves et des harmonies,j'aila hantise du bleu, couleur de tristesse et de recueillement.

Et la moisson que parmi la campagne des rêves j'ai follement parfaite, n'est que d' herbes étranges. Et c'est un bouquet d'herbes bleues .. ."

Il faudra se souvenir de ce bouquet d'herbes bleues et de l'ambivalence de cette couleur emblématique dans l'œuvre peint de Péradon.

Il naît au sein d'une famille très aisée. Son père, Edmond-Cyprien, est un notable qui exerce la haute fonction publique de directeur de l'Enregistrement. Cette fonction engendrera des déménagements de la famille au gré des mutations successives par l' Administration. Rouen, Gap, Nevers accueilleront tour à tour Edmond-Cypriencomme directeur de i'Enregistrement. Sans doute, l'enfant Pierre-Edmond gardera-t-il toujours, l'accompagnant, ce bleu infini des rivages normands, les vastes étendues sans autres obstacles naturels que les arbres, ces plages où le ressac incessant efface indéfiniment les pas de l'enfant qui court sur le sable. Mais, les grandes vacances ramènent toute la famille chaque année à Courseulles.

C'est là que le père vient prendre sa retraite dans les années trente. C'est là que Péradon vivra la plus grande partie de sa vie et peindra. Son atelier y est encore, tel qu'il l'a laissé avec sa palette, et sa belle-fille le protège.

La mère de Pierre-Edmond est née Charlotte, Adèle, Aline Deshayes. Elle aussi était issue d'une famille aisée de minotiers. Sans aucun doute, cette femme était d'un caractère sensible et d'un tempérament artistique. Nous savons qu'elle peignait par les aquarelles conservées par Marie-Thérèse Péradon. Ces quatre travaux sur papier datés de 1859, 1860, 1874, 1899, ne sont vraisemblablement qu'un maigre témoignage de la sensibilité de Charlotte Deshayes. Mais tels quels, ils donnent à penser ou à rêver, c'est selon. Un fait important, Pierre-Edmond ajoutera toujours à son nom celui de sa mère quand il signera ses poèmes. Affection d'un fils assurément, mais aussi certainement, fidélité à une filiation, hommage du poète à la grâce d'avoir été engendré par cette femme,

Sa mère meurt en 1928; il a alors trente-cinq ans, C'est l'âge mûr où les douleurs sont marquées à l'empreinte du sceau forgé par la conscience du non retour des êtres et de l'enfance disparus, L'homme qui perd sa mère est toujours confronté à l'enfant qu'il a été, quel que soit son âge quand la séparation survient.. ,

A dix-sept ans, il passe son baccalauréat. "Bac en allemand", nous dit sa belle-fille, qui précise que Péradon aimait souvent rappeler ce fait. Il se dirige vers des études de droit, sans doute pour faire plaisirà son père. Cependant les muses, comme on dit, ne vont pas tarderà le rattraper.

Nous sommes en 1912. Le père vient d' être nommé directeur de l'Enregistrementà Nevers. La famille quitte donc Gap, aboutissement d'une précédente mutation, et vient s'installer dans la ville où il va découvrir la vocation qu'il ne connait pas encore. Car sa première vocation est la poésie et le restera toute sa vie, sans nuire au peintre qu'il va devenir.

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