Pierre-Edmond Péradon, son art (1/4)

Page : 1--- 2 --- 3 --- 4

Pierre-Edmond Péradon, chantre du paysage normand par Thierry Demaubus

Pour Pierre-Edmond Péradon, l'art pictural ne consiste pas à voir le plus naïvement possible, à reproduire sans invention, sans recherche aucune, à laisser la nature responsable de l'effet qu'elle produit.

L'artiste ne se soumet jamais aux lois de la nature, il l'humanise, même si souvent l'homme s'efface pour laisser le motif.

Son style possède dans la ligne une simplicité, une fermeté qui renforcent le rythme dans ses paysages. Ces derniers révèlent à l'œil les meilleures qualités: ampleur, puissance, finesse. Car, tout en reconnaissant comme base de départ la nécessité de la réalité vue, sa peinture révèle l'importance de la réalité sentie. D'où la dominance des vues d' ensemble sur les détails et un sens supérieur qui donne à l'artiste le moyen de maitriser l'art du paysage.

Certes il existe deux manières d'appréhender le paysage. On peut le traiter du simple point de vue du pittoresque, ne rechercher que les effets de lumière et les variations Infimes de la nature, la beauté et le relief des objets. L'autre manière, moins extérieure mais plus intime, consiste à exprimer par tous les éléments qu'offre la nature, un sentiment, des impressions, une émotion, et à intégrer le sentiment dans le paysage, en le commentant par la couleur locale, l'aspect du ciel. Peradon a sans nul doute choisi d'adopter cette manière dans sa recherche permanente de stylisation du paysage?

Traducteur, l'artiste respecte la nature qu'il regarde, la présente à travers sa sensibilité, mais surtout la reflète pour le spectateur tel qu'il la perçoit lui-même.

Il affectionne le paysage composé qui ne prétend pas forcément retracer véridiquement tel site, mais est créé par l'artiste en combinant des éléments pris dans la nature et dans l'imagination.

Ces forêts, ces bois, ces vallonnement qui conduisent l'œil jusqu'au village qui apparaît dans l'horizon, enchantent par l'harmonie de leurs masses et de leurs tons.

Peradon commence toujours un tableau en indiquant les valeurs les plus vigoureuses et poursuit suivant cet ordre jusqu'à la valeur la plus claire. Privilégiant les masses et le « caractère » du tableau sur les détails, il use de son âme de poète pour compléter ce qu'il voit d'une certaine manière.

En examinant son œuvre de près, on s'aperçoit que l'artiste, tout en accordant au sentiment son importance, possède une méthode et que celle-ci atteste à quel point il est épris d'ordre et de clarté. Faisant abstraction des théories d'avant-garde soi-disant savantes, il va droit au but sans artifices ni détours inutiles. Les valeurs jouent un rôle primordial dans sa peinture : l'artiste sait simplifier les gammes de valeurs sans oublier de conserver les rapports fondamentaux. Il accentue ou abrège telle forme, intensifie ou éteint tel ton, mais l'esprit de la composition ne change pas. Ses harmonies ne sont jamais monotones ou sans résonance, parce qu'il pense toujours à jouer des tons chauds et des tons froids.

Il se tient dans une gamme de tons limitée et évite autant que possible d'être "cru". Il ne craint pas le recours pour ses feuillages à des verts tirant parfois sur le bleu, de ces verts qui évoquent la densité du bocage ou la fraîcheur des jeunes pousses de chêne.

Dans ses toiles, tout est ordonné, rien n'est laissé au hasard. Les compositions possèdent une grande solidité. Les arbres sont d'un dessin irréprochable. Le regard de l'artiste, toujours préoccupé de l'ensemble, ne veut pas peindre le détail comme si l'impression pouvait s'avérer incompatible avec le sentiment de la forme. Toute sa vie, il a tenté de conquérir dans sa peinture ces quotités absolument nécessaires à toute belle œuvre et qu'avaient rejetées la plupart des réalistes: modelé, caractère, ordonnance, ampleur du plan, philosophie.

Ses paysages débordent d'une sensualité plastique où la recherche des volumes colorés reste soumise à une volonté de composition.

L'inquiétude géométrique de Péradon se laisse deviner dans ses paysages normands par l'obsession classique des jeux de verticales et d' horizontales. Peu à peu, l'artiste va orienter ses touches suivant la direction préalable des lignes, en attendant que ces touches les déterminent elles-mêmes.

On remarque dans ses toiles une profusion de toits dont les dents de scie géométriques ont curieusement frappé son imagination. Dans des tableaux comme "Eglise au printemps", le "Village normand en été" ou ces "Maisons dans la verdure", les expériences picturales de l'artiste. encore étroitement liées à la géométrie, le montrent aux prises avec des circonférences et des triangles, se livrant à des échanges d'angles formant autant de faîtes de maisons et de clochers.

Mais l'instinct poétique du peintre lui inspire pourtant une répartition très libre des objets dans la composition. Ainsi ses arbres et ses maisons sont avant tout des structures où tout concourt à i' essentiel, à la substance, à l'idée. En rapport avec les mystères de la nature, le paysagiste peut alors laisser vibrer son âme.

A l'encontre de la peinture impressionniste, il use d'une palette rigoureuse qui ne déborde jamais la forme, mais au contraire la signifie davantage, la spécifie efficacement dans sa densité, sa solidité, en fonction des dimensions de la toile, sans pour cela faire appel à des notions aussi limitées que le fait de transposer dans le tableau les seules impressions visuelles.

L'art de peindre chez Péradon revient à penser un ordre, un "cadre" dans la profusion de la nature. Ce qui ne signifie pas, bien sûr. que l'artiste se contente de réduire celle-ci à des schémas rigides et froids, mais propose au spectateur - à travers son regard modélisant - une vision poétique de la nature et du paysage.

Page : 1--- 2 --- 3 --- 4