Il est une chose d'écrire des poèmes, il en est une autre de pouvoir les publier. Les temps n'ont guère changé. Il est difficile d'établir comment le jeune homme prit contact avec les milieux littéraires de Nevers. Toujours est-il qu'Henri Chornet. créateur et animateur de la revue littéraire "Ombres et Formes", l'accueille dans sa revue. Celle-ci ne verra sa parution interrompue que pendant la guerre de 1914-18. Un article du 3 mars 1923donnela paroleà Henri Chometà propos du renouveau possible d'une revue littéraire nivernaise. Ecoutons-le:
" ...Un nivernais de cœur, un poète inspiré, Jean des Lys, par un article paru dans "Le PetitCnatitots " du 24 février(1923), ravive en mon cœur de bien doux souvenirs. En termes trop bienveillants, il évoque tes beaux jours d'''Ombres et Formes", ceux où j'accueillais dansma revue, les bras ouverts, les écrivains et artistes de "chez nous" qui voulaient bien m'aider de leur précieuse collaboration. C est ainsi que, pendant
plus de cinq ans, j' eus la joie de compter au nombre de mes collaborateurs, les Batmerot, Gromolard, Janvier, Hugues Loooire, Pétodon-Destiaves, Gaston Picard, Gaston Pichot, Thuriot-Franchi, etc, illustrés par Chalandre, Desligneres, Locquin et tant d'autres, "
Pour des raisons diverses, "Ombres et Formes', album mensuel d'art libre et de critique, n'a pas reparu depuis la guerre, bien que le projet n'ait pas été perdu de vue,
Aujourd'hui- certain de l'amitié de mes anciens collaborateurs, assuré déjà de nouveaux concours dévoués, je vous propose, mes amis nivernais, de reprendre cette revue, sous une autre forme et d'en faire avec vous et pour vous, une "revue nivernaise, "
Témoignage capital, Pierre-Edmond Péradon-Deshayes est donc reconnu très tôt et publié, Car la revue édite des recueils de poésie, C'est ainsi que "Premiers Poèmes' peut affronter les critiques du monde en 1913, Il a vingt ans 1 Le recueil se divise en quatre parties: l'Océan, les Alpes, les Villes et Poèmes nivernais, dédiés plus spécialement à Henri Chornet. Le livre se termine par l'évocation des "Symboles familiers", Il est une chose remarquable sur laquelle nous reviendrons mais qu'il faut signaler dès avant: tous les thèmes de la future peinture de Péradon sont déjà présents, L'imagination et la sensibilité du poète témoignent de ce qui sourd en l'homme devant les paysages du monde, Mystères et magies des gestations, il est déjà peintre quand il écrit ce poème qui ouvre son premier recueil publié "L'Océan" :
Les Vents des grèves
Les vents des grèves sont les âmes de la mer, âmes du sable roux, sonores et nombreuses, âmes des cieux d'acier, perfides et précieuses, âmes des sols perdus et des genêts amers.
Ils portent les pensers lointains des matins clairs et les adieux des soirs et des nuits ténébreuses qui s'endorment dans les brumes silencieuses bercés par le son lourd des cloches, qui se perd.
Au rythme de la brise ils caressent la terre et scandent les chansons du cœur qui désespère en cadences de deuil, de douleur et d'adieu.
Nul ne sait où s'en vont mourir les vents
( des grèves,
et nul n'a jamais su quel en était le dieu ... ... et les vents, lentement, s'estompent dans
(nos rêves.
(31 juillet 1911)
Comment un jeune homme pouvait-il ne pas être porté par cette première et essentielle reconnaissance ? Comment pouvait-il ne pas croire en sa vocation dans les milieu qu'il fréquentait alors, et pour lequel ne comptaient que les fortunes de l'esprit?
Au moment où Péradon va faire la rencontre qui va emporter définitivement le cours de sa vie future, il faut évoquer un événement qui aurait pu briser irrémédiablement son avenir. Vers l'âge de dix-huit ans, Pierre-Edmond participe à une course cycliste. Or il est d'usage de rafraîchir les coureurs qui suentà pédaler sur les machines de l'époque (1911), en les arrosant de grands seaux d'eau glacée! Pratique charitable des aficionados du vélo, mais qui lui sera presque fatale. Sur le corps échauffé de ce jeune homme nerveux, l'effet est radical: coup de froid, pleurésie, les poumons sont atteints. On ne donne pas cher de sa vie. Il s'en sortira. Mais il vivra avec un seul poumon i Il faut imaginer ce que peut être la dureté de l'épreuve pour le jeune homme qui pensait alors ne pas en réchapper. Mais il vivra jusqu'à quatre-vingt-neuf ans! L'épreuve fut peut-être, elle aussi. déterminante dans les choix de vie du poète, et du peintre.
Pour l'heure, Péradon, muni de son recueil de poèmes comme viatique, carte de visite et profession de foi tout ensemble. sonne à la porte d'un homme qu'il a connu à la revue "Ombres et Formes". Il s'agit du peintre et graveur Fernand Chalandre. Si Chalandre n'est pas passé à la postérité, comme beaucoup d'artistes de talent. il était néanmoins à l'époque reconnu par le groupe des artistes nivernais, qui savaient à juste titre apprécier ses œuvres.
Ce fut un très bon graveur et un très grand pédagogue. Nombreux furent les artistes du cru qui furent formés par lui. Il faut citer pour mémoire: Jean-
Marie Meunier, Pierre Moreau, Jean Locquin, qui furent engloutis par la guerre, Jean Gromolard, Georges Tardy le photographe, Hippolyte Boule, Etienne Gaudet, ... tous artistes qui formaient un groupe autour de la revue 'Ombres et Formes", comme nous l'avons vu.
Marie-Thérèse Péradon conserve un article du journal "Paris-Centre" du 4 mai 1923, dans lequel une page entière est consacrée à Pierre-Edmond. La signature de l'article est malheureusement illisible. Mais, je laisse son auteur relater la rencontre de Péradon avec Chalandre. Gageons que ce chroniqueur des arts connaissait bien les deux hommes. Son article nous donne de rares éléments sur notre peintre et ce groupe des artistes nivernais dont il faisait désormais partie:
"Au jouroù il s'en vint sonnerà la porte de Chalandre. chaperonné par son volume: "Premiers Poèmes', fleurant encore l'odeur toute fraiche d'imprimerie, immédiatement conquis par la douce aménité et par l'âme de notre regretté artiste, notre jeune poète, en sortant de l'accueillant atelier, sentit que lui aussi serait peintre.
Dès le lendemain, le voilà de retour dans le petit atelier de la rue Saint-Etienne(à Nevers), quotidiennement il revient, attentivement, il regarde Chalandre travailler.
Les jours passent, Péradon crayonne quand il n'aide pas son amià tirer ses boisou ses eaux-fortes.
Ensemble, patiemment, ils tirent ces somptueux camaïeux, en deuxou trois couleurs. Travail délicat, long et difficile, tantà cause des minutieux repérages que de l'installation de fortune dont ils disposent. Uneà une les bonnes épreuves, joyeusement, tapissent les murs. Jamais presse n'a tant travaillé. C'est i' active périodequi nous a donné la belle floraison de planches en couleurs, malheureusement aujourd'hui introuvables. (En1924, déjà !)
En camarades, pendant les beaux jours, sur nature, ils vont dessiner les coins pittoresques du vieux Nevers, peindreà l'huile, à l'aquarelle sur les bords de la Loire, de la Nièvre, aux environs proches vers Coulanges, Sermoiseou Marzy ."
Péradon sera donc peintre. Sa décision est prise.