Pierre-Edmond Péradon, son art (4/4)

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Le dialogue de l'eau et du ciel, leurs continuels échanges, leurs transmutations, voilà les thèmes chers aux méditations du peintre, qui semblent ignorer tout drame, toute tension, et craindre de mêler l'agitation humaine aux douceurs de la contemplation.

Pour lui, l'existence même ne cesse d'être un privilège; la mer, l'arbre, le ciel, ont encore des secrets à lui confier.

Son ciel possède une densité qui remplit le bois et borne l'horizon. Il est porté par la colline ou par la plaine.

L'artiste protège, simplifie le motif, renforce l'impression de silence et de solitude qui monte de son terroir normand.

Les impressionnistes avaient fini par rétrécir le monde, par l'étouffer sous trop de rayons et de fleurs. Ici, ni petits enclos, ni rives poudreuses, ni jardins intimistes: la notion d'étendue retrouve sa valeur. Si la couleur perd en vibration, en rayonnement, le solide reprend son poids, affirme sa continuité et sa permanence.

La beauté des paysages de montagnes provient moins de sa maîtrise technique, bien que celle-ci soit indéniable, que de sa puissance d'évocation. Le peintre parvient à transmettre au spectateur le sentiment réel de l'espace et la sensation d'immensité que l'homme ressent au pied des montagnes. Ses toiles possèdent une monumentalité foncière accordée aux dimensions des grands sommets et ce, même dans les petits formats.

De toutes ces toiles se dégagent la noblesse et le sentiment de perfection immaculée des sommets enneigés. Et dans ce spectacle du paysage ordonné par des forces supérieures qui procèdent de lois immuables et universelles, le hasard n'a pas sa place pour Péradon. Tout est organisé par une causalité supérieure et le paysage devient source de réflexion métaphysique autant que simple émotion artistique.

Ce serait alors banal d'affirmer qu'il voit dans le paysage de montagne - comme dans ses marines et autres compositions - un reflet de l'âme humaine. En réalité, c'est l'artiste lui-même qui projette son âme dans le paysage et nous restitue une vision du spectacle naturel.

La nature le fascine parce qu'elle est la vie mais aussi parce qu'elle est une émanation de quelque chose de divin, d'éternel par lequel elle gouverne le monde. C'est la raison pour laquelle la plupart des paysages où la nature règne en maître absolu, où l'action de l'homme est inexistante, mer, montagnes exercent sur lui une attirance quasi Irrésistible. Ces paysages et ses vues de hautes cimes occupent dans les pensées de l'artiste la place que les questions qu'il se pose sur l'homme et sa destinée transforment en chimères.

Cette faculté pour le spectateur de s'élever' à la hauteur des plus grandes conceptions morales' selon l'expression de Balzac devait séduire Péradon qui. non content d'être peintre, était également un poète doublé d'un moraliste éclairé. Les montagnes ont été longtemps considérées comme le lieu de la barbarie et la manifestation la plus claire de la nature horrible et sauvage à travers l'histoire. Dans son observation, il humanise la montagne, la personnifie même dans ses poèmes où il exalte sa majesté.

Ce que dit sa peinture, c'est que la montagne elle-même est œuvre d'art. N'y a-t-il pas en effet autant de force et d'effets dans la masse imposante de la montagne que dans une composition pittoresque obtenue à grand renfort d'effets recherchés et artificiels.

Véritable somme de pics, d'accidents, de reliefs, de cimes, d'arêtes et de formes hiératiques, la montagne représente pour lui un univers fantastique de formes encore inexploré. Mais comment offrir au regard une apparence de pureté, une impression d'espace si l'on compose le paysage comme un entassement d'éléments hiératiques et de ruptures?

Ici réside sans doute toute la force de ces toiles imposantes: élever l'âme du spectateur tout en humanisant la montagne, mère altière de l'universel et de l'harmonie.

Des sommets enneigés encadrent un panorama qui tire à lui le spectateur: le sommet de la montagne domine toute la composition. Celui-ci débouche sur une déchirure de ciel bleu où l'air paraît toujours pur. Aucun être vivant et pourtant l'œuvre palpite de vie et surtout respire.

L'artiste a trouvé dans la montagne un motif à la hauteur de son Inspiration que l'on pouvait déjà apprécier dans ses admirables scènes de plages et ses subtiles variations sur le paysage normand.

Ce sédentaire n'attend rien que des mêmes horizons, des mêmes lumières. Il ne fait de découvertes que dans du connu. L'habitude, loin d'émousser ses sensations, les aiguise. Loin de lasser son âme de poète, elle l'exalte. Ce terrien affectionne la route, l'arbre, la rivière, le village resserré autour de son église, la ferme, la forêt proche ou lointaine.

Toujours les mêmes harmonies vert tendre et vert sombre, brun foncé et brun clair, bleu d'ardoise ou bleu ciel. Le peintre voit large, élimine le détail au profit de l'essentiel et, s'il s'arrête sur le faîte d'une église, c'est pour le transfigurer.

Telle est la beauté de ces paysages. Telle est la force d'un dessin aux accents exceptionnels, et dont la pesanteur même a des ailes.

Le paysagiste ne doit pas être, comme l'a écrit si pertinemment Claude Roger-Marx, qu'un "ministre de l'extérieur". Son modèle est d'abord en lui. Un paysage n'a de chances de durer que s'il est composé d'une vie intérieure, "antérieure', des lumières et des ombres que chacun porte en soi".

Un mauvais peintre n'est chez lui nulle part, son pays natal lui parle une langue étrangère. Il peint avec la même indifférence les sites les plus différents. A l'opposé, Pierre-Edmond Péradon a su exalter toute la poésie et les charmes subtils et délicats de sa terre natale.

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