Pierre-Edmond Péradon, son art (2/4)

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Cette vision poétique, il la doit aussi à son sens infaillible de la couleur. Les différents verts sombres d'une grande richesse de tons rappellent les paysages de forêts de l'Ecole réaliste. On dirait que ses verts réclament l'amitié des gris cendrés ou des gris dorés de l'asphalte et de la pierre. La pelouse verte, les rochers gris et nus, les arbres, les lointains et ces villages blottis dans le fond de la vallée, le ciel surtout avec ses nuages légers qui se dessinent à peine dans une atmosphère inondée de lumière, tout n'est que nuance et harmonie de la couleur.

Alors que l'on perçoit un réel contraste entre les parties sombres du paysage et les teintes claires du ciel et des maisons solidement construites, les lumières et les ombres bleutées ne structurent pas le sujet selon a méthode traditionnelle.

La puissante impression de structure, visible dans es maisons et les églises, mais aussi les feuillages denses et touffus des arbres, est créée par l'écriture expressive du pinceau qui épouse le sujet, oriente les plans et imite parfois la texture réelle.

Certains paysagistes utilisent des gradations pour traduire l'effet de distance: les objets du premier plan sont dépeints à grands traits, alors que ceux de l'arrière plan sont indiqués en touches de plus en plus menues jusqu'à l'horizon. Dans les toiles de Péradon le coup de pinceau demeure à peu près uniforme dans tout le paysage, si bien que sa touche tend à contrôler l'illusion d'espace et à forcer le spectateur à porter son attention sur la surface peinte. C'est en ce sens que l'artiste flirte constamment avec les données du cubisme dans sa quête inlassable de la forme stylisée .

Afin de supprimer le plus possible l'accident, le peintre relie les plans en développant une pratique celle que les cubistes ont poussée à plus d'audace encore - à savoir celle des rapports, des comparaisons, des correspondances entre éléments plastiques grâce auxquels il crée des rythmes, d'une saveur et d'une sensibilité poétique véritable.

Nous avons vu qu'il n'attachait pas systématiquement d'importance au principe impressionniste qui suggérait de varier la couleur de la lumière en fonction de la qualité du temps ou de la hauteur du soleil dans le ciel. Ce qui l'incite d'ailleurs à chercher avec ferveur une lumière invariablement fixe plus conforme à la logique du tableau. Telle est la raison de son refus d'utiliser de dangereux mélanges de tons au profit du choix de la nuance précise, capable de caractériser solidement le plan tout en exaltant la lumière, dans le but de réaliser un ensemble harmonieux et d'une grande unité.

A travers toute son œuvre, Péradon est resté fidèle au procédé qui consiste à développer chromatiquement le ton en intensité jusqu'à sa rencontre avec une ligne contrastée - la silhouette d'un arbre par exemple - qui précise le relief de l'élément choisi et le situe sur la toile sans le sacrifier à des éclats trop faciles,

Il a su résoudre le problème de situer sur un plan d'égalité constructive ton local, forme et lumière. Pour cela, il a cherché le ton précis susceptible de définir efficacement les volumes. Sa tentative de saisir les accords entre les expériences intérieures et les manières devoir picturales, témoigne d'un besoin qui met à nouveau en évidence l'expérience des cubistes.

Son style s'oriente de manière très nette vers le cubisme sans pour autant tout devoir à ce courant qui a marqué profondément les peintres du XXe siècle. A partir de certaines compositions, on relève dans son art l'expression nouvelle d'une condensation, d'une réduction des moyens exposés dans une atmosphère d'une grande sérénité. Les volumes, s'ils sont encore nombreux, semblent, chacun pris en particulier, d'une texture riche et puissante, bien que liés indissolublement. Dans ses lumineuses compositions si simples et si vraies, Péradon réduit les éléments à des notations essentielles.

Au ciel est réservé le froid d'un bleu intense comme il se doit dans tout paysage traditionnel.

Ce que ses premières toiles avaient encore de purement descriptif s'est résorbé dans une évocation surtout allusive où seuls des jeux d'espace-lumière s'expriment dans la syntaxe picturale si personnelle à l'artiste.

Et de ce fait la toile conserve toute la spontanéité d'une esquisse et la fraîcheur d'une aquarelle.

La peinture ne pouvant reproduire la lumière de son terroir normand, l'artiste a compris qu'il devrait traduire la lumière par le truchement de la couleur. Son souci constant du ton précis et de la juste couleur dans chaque coup de pinceau vient sans doute de son besoin de construire une totale harmonie de couleurs - comme dans la nature - où nulle touche ne doit jurer avec les autres. Une seule note choquante dans un tableau et il lui aurait fallu recommencer l'œuvre en entier.

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